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Avec Madame Merkel, je parle allemand évidemment

  

  Le Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault répond aux questions

de Chloé, Emil, Emmanuelle et Ulysse, jeunes reporters du Grand méchant loup

 

 

 

Vous aviez 12 ans quand le traité de l'Élysée a été signé. Est-ce que vous en avez un souvenir ?
Je n'ai pas un souvenir précis, mais j'ai un souvenir de la rencontre, à la télévision, dans les actualités du cinéma, du Général de Gaulle, qui était une grande figure de l'Histoire de la France, et du Chancelier allemand. C'était un événement historique parce que 1963, c'était quand même peu de temps après la guerre. Les deux pays étaient marqués par ça. C'est un événement qui, déjà à l'époque, m'avait impressionné.

Est-ce que vous aviez déjà une relation particulière avec la langue et la culture allemande ?
J'ai appris l'allemand au lycée, dans ma région de Nantes. J'étais élève dans un lycée et puis après, je suis allé à l'université, j'ai étudié l'allemand pour devenir professeur d'allemand. Et dans mon cursus universitaire, je suis allé à l'université de Wurtzbourg en Allemagne, c'est en Bavière, en Franconie en fait, et j’y suis resté en 1969-1970.

Et pourquoi avez-vous choisi de devenir professeur d'allemand ?
Parce que cette langue m'a plu, m'a touché, et j'ai eu envie de l'apprendre et ensuite d'en faire mon métier. Quand on apprend une langue, on s'intéresse aussi à la culture, à la civilisation, aux traditions, aux gens, et donc, j'ai appris à connaître l'Allemagne, à connaître les Allemands. Et ça c'est quelque chose qui est très riche. C'est votre cas puisque vous vivez ici à Berlin.

Est-ce que votre maîtrise de l'allemand vous facilite la tâche dans les rapports internationaux ?
En tout cas, ça facilite les rapports avec les germanophones. Je l'ai vécu depuis de longues années, j’étais Président du groupe parlementaire à l'Assemblée nationale et j'ai entretenu des relations avec mes homologues* allemands. La langue allemande facilite les choses. C'est vrai en Allemagne, avec les dirigeants politiques au pouvoir, avec la Chancelière, avec certains ministres. C'est vrai aussi avec l'Autriche, je connais le Chancelier Faymann que j'ai rencontré à plusieurs reprises avec lequel je parle évidemment en allemand.

Donc vous parlez allemand avec Madame Merkel ?
Oui, j'ai eu un entretien avec elle, en tête-à-tête, comme on dit „ unter vier Augen “, voyez, c'est la subtilité des langues, ce n'est pas un tête-à-tête, mais entre quatre yeux, et j'ai donc eu ce plaisir de pouvoir le faire directement sans interprète.

Est-ce que vous avez un mot préféré en allemand ? 

 Ce que j'aime bien, c'est Heimat. C'est à la fois le pays natal, une forme d'intimité, d'attachement. Après, il y a un autre mot qui est assez original en allemand, qui est difficilement traduisible, c’est Sehnsucht. C'est un très beau mot, un peu nostalgique d'ailleurs, un peu sentimental. Et puis Gemütlichkeit. Ça, c'est très original, là, c'est quasiment intraduisible en français, mais ça dit bien ce que ça veut dire quand on connait un peu l'Allemagne. Die Gemütlichkeit.

Et pour vous, qu’est-ce qui est typiquement allemand ?
Il y a beaucoup de choses qui sont typiquement allemandes, mais c'est ça, la  Gemütlichkeit. Ce qui est typiquement allemand, c'est aimer se retrouver ensemble, en dehors de chez soi. Par exemple le Stammtisch dans un bistro, ça, c'est typiquement allemand. Et puis, il y a beaucoup d'autres choses.

La construction de l'Europe est-elle de gauche ou de droite ?
Non, finalement, c'est une génération d'hommes politiques qui ont, après la Seconde guerre mondiale, décidé de dire on ne peut plus recommencer, on ne peut plus laisser les choses aller.

Il y a eu la Première guerre mondiale, et après, avec la crise des années trente, le fascisme, le nazisme et le totalitarisme ont balayé toutes les volontés de paix, de fraternité et de réconciliation qui avaient été construites notamment au moment de la société des Nations par des personnalités comme par exemple en France Aristide Briand et en Allemagne Gustav Stresemann. Ces deux hommes politiques ont été tous les deux Prix Nobel de la paix en 1926 et cette volonté de paix a été balayée par la montée du fascisme et du nazisme. Donc il a fallu tout recommencer.

Après une première tragédie, il y en a eu une deuxième. Après la Seconde guerre mondiale, il y a eu des hommes de bonne volonté qui étaient de différents partis et qui ont dit, on ne va plus recommencer et là, on va traiter à la fois le problème politique et le problème économique. Et c'est cet héritage qui est le nôtre, que nous avons la responsabilité de renforcer.

Que représente l'amitié franco-allemande pour vous ?
C'est le socle. D'abord, c'était la base de la construction de l'Europe, parce que sans réconciliation franco-allemande, rien n'aurait été possible, de même qu’ensuite l'Allemagne s'est réconciliée avec la Pologne. Aujourd'hui, l'Allemagne et la France restent socle de cette construction de l'Europe, non pas exclusive, non pas pour imposer nos vues aux autres pays, mais c'est l'histoire qui nous indique ça.



Un homologue* : c'est un peu comme un collègue, quelqu'un qui remplit les mêmes fonctions.

 

 

 

Interview : Chloé, Emil, Emmanuelle & Ulysse

Dessin : Alina et Gaïa

Texte, dessins et photos : © Grand méchant loup - Novembre 2012